Entre autoroute et GR, un road moovie documentaire
Un cinéaste et sa compagne preneuse de son, partent à pieds sur une route millénaire de transhumance de plus de 300 km.
Depuis Arles jusqu’aux sommets alpins, ils traversent campagnes et banlieues, cités et hameaux.
Volontairement contraints par ce rythme lent, ils filment, observent et vont chemin faisant, à la rencontre de gens vivant et travaillant sur cet itinéraire. Avec eux, ils questionnent nos capacités à « sortir » du temps de l’horloge.
Ce voyage du réalisateur aux semelles de vent va durer 6 semaines...
NOTE DE L'AUTEUR:
Durant les deux derniers siècles les progrès réalisés ont permis plus de justice sociale, plus d’éducation, plus de culture et une durée de vie plus longue. Les nouvelles technologies permettent de tout exécuter rapidement mais nous courons sans cesse et vivons des instants déconnectés les uns des autres.
Nous nous sommes adaptés plus ou moins facilement au règne du "temps court", à la société du zapping, du fast, des clips et des clics. Nous nous adaptons à l'usure et à l'obsolescence rapide des technologies, des programmes politiques, des savoir-faire, des objets courants… Nous accélérons pour répondre aux exigences d'un monde qui tourne à une vitesse toujours plus grande, qui exige des performances toujours plus poussées et des réponses plus immédiates.
Il y a encore peu de temps, pour rester dans la ronde, je vivais dans l'urgence, l'immédiateté.
Je cherchais à réduire la durée des repas, les moments de pause, les temps de sommeil… Je tentais de caser dans mon agenda le maximum de choses à faire. Je multipliais les fausses urgences en agissant rapidement au-delà du nécessaire.
Et puis, une maladie sérieuse m’a coupé le souffle. Hospitalisation, souffrance, mort de mon voisin de chambre la première nuit. J’ai pris conscience que le temps m’était compté. Cette fois, s’il y avait urgence, c'était de m'organiser autrement pour réagir à la pression ambiante et pour ralentir mon rythme de vie, y compris dans la pratique de mon métier.
J'essaie de me délivrer du temps de l'horloge en faisant de l’instant présent un instant vécu pleinement. Je cherche à ralentir pour mieux appréhender le quotidien et me projeter plus sereinement dans le futur. Un désir de participer à une modernité qui prendrait en compte mon horloge biologique en adéquation avec les cycles de la nature.
Je suis conscient que la vie tout entière ne peut pas être élevée au rang d’une durée purement qualitative. Je refuse bien sûr le retour à un ordre ancien comme trop de personnes déboussolées, voire manipulées, le revendiquent aujourd'hui.
Toutes ces réflexions je les partage avec Marie-Hélène, ma compagne, preneuse de son sur mes films précédents. Nous allons partir ensemble pour les mettre à l'épreuve dans des rencontres de voyage.
Pendant les cinq semaines de repérage nous avons traversé des paysages ruraux ou urbains qui suscitent apaisement ou frénésie. Nous avons trouvé des personnes d'âges et d'horizons divers qui réagissent différemment face à l'accélération des
rythmes de vie. Nous avons croisé des hommes et des femmes qui ont besoin de rythmes effrénés pour se sentir exister. Nous avons marché avec des bergers transhumants qui incarnent un temps cyclique immuable. Nous avons rencontré des
personnes qui nagent à contre-courant, d'autres pour qui l'arrêt total s'est imposé, et des victimes de burn-out obligées de s’arrêter pour mieux repartir.
Comme les colporteurs ou les anciens bergers, nous allons prendre cette route à pied avec notre métier, Marie-Hélène au son et moi à l'image. Devenir pour un temps nomades, dormir sous la tente, dans une cabane de berger, un refuge. Être accueilli en ville par un ami, prendre une chambre d'hôtel dans une zone d'activité et en cas d'imprévu passer une nuit à la belle étoile ou dans une gare déserte. Nous engager dans un lent déplacement qui perturbe nos habitudes, qui favorise un regard attentif.
Pendant l’écriture j’ai souvent formulé le mot errance, il a nourri mon imaginaire mais je préfère parler de voyage ou, comme les surréalistes, de dérive. Dans ce mot, il y a la notion de voyage mais sans perte de repère, je m’écarte de la rive et je me définis par rapport à la terre ferme, c’est-à-dire mon travail de cinéaste.
Je ne pars pas "Sur la route" dans les traces de Kerouac, je ne brise pas la montre comme les personnages d’Easy rider qui vont dans une impasse… à la recherche d’un dieu qui ne répond pas.
André Breton en "cherchant l’or du temps", était encore porté par les espérances d’éternité et voyait la poésie comme une rédemption. René Char, lui, répondait en voulant "errer dans l’or des vents" car il n’y a que ce monde et c’est dans ses forêts que nous devons ouvrir des clairières.
Faire mien le voyage dans "l’or des vents" de René Char.
LE TRAJET
REPÉRAGES/ PISTES DE TRAVAIL
Arles, point de départ
“Désert“ de la Crau, Marie
Dans la Crau, le paysage est désert, battu par un vent qui pourrait faire rouler les pierres. Il y a peu d'arbres dressés et les bergeries, toujours utilisées, semblent ne pas avoir d’âge.
Marie conduit son troupeau sous le soleil écrasant, ses pas sont amples et réguliers.
Des milliers de petits sabots frappent le sol. Marie parle peu. Dans son quotidien de solitude, on ne parle pas.
Le troupeau fait son chemin, matière malléable et dense, modifiant l’espace lentement, signalant par ses formes le temps qui passe et s’étend...
Plan de Campagne, Nadia
... Nadia est consultante en entreprise. Elle raconte son travail, son emploi du temps.
Elle roule vite, des collines arides défilent à travers les vitres..
Sur la route, Barry, gardien de nuit
... De la fenêtre de notre chambre je remarque une silhouette qui passe et repasse le long d’un grand hangar. L'homme, à forte corpulence, apparaît et disparaît sous les faisceaux des lampadaires...
Sur l’autoroute, Serge dans un embouteillage
.. Retrouvé dans sa cabine, affalé dans le sommeil, Serge émerge souriant et ébouriffé. Il raconte les kilomètres qu’il avale.
Sa cabine est un monde en miniature, avec ses ex-voto, ses drapeaux achetés aux stations-service, et les peluches offertes par sa fille. Le bruit du dehors nous parvient assourdi. Une bulle hors du monde...
... Depuis plus de trente ans Laurent fait un autoportrait quotidien avec son Polaroïd. Les photos semblent identiques. Il faut s'approcher et se déplacer pour percevoir le temps qui passe sur le corps de Laurent...
Olivier et les bergers transhumants marchent au rythme des bêtes.
Accélérations soudaines, repos, essoufflement, attente à un passage difficile.
Les bergers bivouaquent dans un bois, à proximité d’un enclos portable où les bêtes sont parquées.
Le faisceau de la lampe électrique éclaire une carte IGN. Les doigts effleurent la feuille colorée. L'itinéraire pour le lendemain est tracé.
Les corps se relâchent.
Les bergers prennent des nouvelles de leurs proches.
Les visages d'Hervé et Olivier apparaissent et disparaissent à la lueur des flammes.
Sur la route, un soir.
Ferme de Dédé, l’apiculteur écrivain...
Observatoire du plateau de Bure, Roberto, astronome
... Par une journée ensoleillée, Roberto descend de l'hélicoptère qui assure une fois par semaine le transport d'une partie du personnel.
Avec Manu, le technicien qui oriente les paraboles, ils observent sur de multiples écrans les images colorées des galaxies lointaines.
Par une nuit étoilée les loups hurlent du fond de la vallée. Le vent glacial de la nuit fait voler la neige. Les paraboles géantes se déplacent en pivotant lentement sur leurs rails. La voie lactée semble à portée de main...
DURÉE ET FORMAT:
70' / 2K.
529 DRAGONS est une société de production créée fin 2012 par Laurence Rebouillon et Aurélia Barbet. Une quinzaine de films, essentiellement documentaires, ont été produits.
Le dernier film, Djamilia, réalisé par Aminatou Echard, produit avec la participation du CNC, avec le soutien de la Région Ile-de-France et en association avec ARTE France - La Lucarne, a été séléctionné en 2018, au festival de Berlin, en compétition Française au festival du film du Réel, séléctionné à Madrid, au Brésil, à Toronto, en Sardaigne...
Un mot de la productrice sur le réalisateur
Je connais le travail de Thierry Lanfranchi depuis longtemps. Ses précédents films ont été projetés dans de prestigieux festivals de cinéma documentaire.
J’avais suivi le tournage d'Au diable Vauvert et me souviens avoir été émue et impressionnée lorsque je l’ai vu en salle au FID Marseille ( Festival internationnal du documentaire).
J’avais aussi en tête des images de Loin du monde, que j'avais vu à Paris au Cinéma du Réel, et je me suis dit que Thierry dépliait dans ses films le processus d’une expérience : avec Loin du monde, on assiste à celle d’une famille retirée dans les Pyrénées à la fin des années soixante-dix, qui élève leur sept enfants dans leur maison isolée, à une heure de marche du premier village. Avec Au Diable Vauvert, c’est au lent exercice de la démocratie auquel on assiste, comme à une leçon de choses de la vie civique (ce film a obtenu une mention spéciale du jury au FID Marseille).
Avec ce film, Errer dans l'or des vents, nous ne sommes pas dans une proposition philosophique ou sociologique sur la question du temps, mais à nouveau dans un partage d’expérience. Celle d’un cinéaste et sa compagne qui font leur transhumance, conduit par un questionnement sur nos capacités à sortir de nos rythmes effrénés. Un road movie documentaire, en prise avec un réel parfois rude, qui trouve son équilibre avec délicatesse.
Aurélia Barbet